Des nécessités de reprendre la traite après la période révolutionnaire: les arguments de la chambre de commerce de Nantes (1814)

Le traité de paix qui vient d'être signé entre la France et les puissances alliées, permet la Traite des noirs à la côte d'Afrique pendant cinq ans. Sans cette convention il eut été impossible de repeupler la colonie de Saint-Domingue et de l'exploiter avec avantage pour la métropole ; mais, passé cette époque, peut-être trop limitée l'introduction des noirs étant prohibée, il faut considérer à l'avance, si la France pourra en continuer l'exploitation, ou si, faute d'une quantité de bras suffisante, elle ne serait pas obligée de l'abandonner.

(...)

En 1754, la population des noirs à Saint-Domingue, était comme suit :

Nègres mâles adultes

79 785

Négrillons

20 518

 

100 303

Négresses

53 817

Négrittes

18 428

 

72 245

Total

172 548

 

 

Dix ans après, la même population d'esclaves de tout âge et des deux sexes, était de 206 000, elle avait augmenté dans cette période de 33 452 individus. A la fin de 1788 elle était de 405 528. Ainsi, en 24 ans elle avait augmenté de 199 528 individus ; c'est à dire, presque doublé, par la traite et par les naissances.

(...)

Les états de 1754 sont les seuls qui donnent des notions sur la proportion qui existait entre les deux sexes des esclaves. Les hommes étaient alors aux femmes dans le rapport de 4 à 3, et c'est à peu près celui qui existait dans la formation des cargaisons de noirs pour Saint-Domingue. Elles étaient composées de deux tiers d'hommes et d'un tiers de femmes de tout âge et de négrillons.

La surabondance d'hommes dans ces cargaisons était fondée sur la plus grande somme de travail que ceux-ci produisent comparativement aux femmes ; mais cette première disproportion entre les deux sexes est une cause inaperçue de la dépopulation habituelle des colonies, et à laquelle il importe de porter un prompt remède.

(...)

La guerre qu'ils ont soutenue contre les Européens et celle qu'ils se sont faite entre eux, ont été cause d'une plus grande mortalité ; mais les hommes qui connaissent bien ce pays, pour y avoir régi des habitations, sont convaincus qu'elle a pu être compensée par un plus grand nombre de naissances, qu'aura produit un moindre travail, et l'attrait de la liberté qui les aura portés à conserver leurs enfants.

(...)

On a beaucoup écrit pour et contre l'esclavage des noirs ; nous pensons que des deux côtés on a donné dans des opinions exagérées. Nous avouons qu'au tribunal de la morale, la cause de l'esclavage peut être réprouvée ; mais ceux qui l'invoquent (sans doute avec des intentions bien respectables) font-ils attention qu'au sein même de nos sociétés les plus civilisées, les gouvernements européens sont obligés, pour éviter de plus grands maux, de tolérer l'espionnage, les loteries, les maisons publiques de jeux, de prostitution, etc. que la morale et la religion condamnent ? Sans doute que les gouvernements auraient dû proscrire la cupidité de celui qui, le premier, fit la Traite des noirs ; mais une fois que l'abus a fait de grands progrès ; qu'il s'est transformé successivement, pendant le cours de plusieurs siècles, en établissements indispensables à la propriété de notre patrie ; qu'en renonçant brusquement, on renonce à une balance annuelle de 70 000 000 livres en faveur de la France (...). Jean-Jacques Rousseau a dit avec raison, qu'ils étaient entre eux dans l'état de nature ; c'est-à-dire, qu'ils doivent faire leur bien particulier avec le moindre mal des autres : c'est ce qu'il font, et c'est ce qu'ils doivent faire. Les hommes ont été donnés par la nature au gouvernement ; il s'en est chargé sous la promesse de les occuper et de les nourrir : le gouvernement a pris un engagement sacré avec la nature, il serait affreux de le rompre.

(...)

Cette dernière conditions disculpe les gouvernants de tout reproche mérité d'immoralité et de cruauté, lors qu'étant dans la nécessité de tolérer l'esclavage, ils l'ont rendu le plus léger possible, ont adouci les mœurs des esclaves, éclairé leurs esprits, détruit leurs préjugés, qu'ils les ont élevés par degré à la condition d'hommes civilisés, et enfin les ont rendus dignes de l'émancipation et de la liberté.

 

Observations de la Chambre de commerce de Nantes sur la traite des noirs et la restauration de Saint-Domingue, 1814.

Texte original [https://catalogue-bm.nantes.fr/]

Source: Bibliothèque municipal de Nantes, Patrimoine, 210883/C557