Savoirs, sciences, techniques et construction étatique en Amérique ibérique, 1790-1870

Du 29 au 31 janvier 2015 à Paris, Université Paris I Panthéon Sorbonne, 12 Place du Panthéon, Paris 5e

Présentation

Durant les dernières décennies, le renouvellement de l’histoire des sciences a été marqué par son ouverture vers les espaces non européens, notamment les Amériques ibériques, et par l’étude des rapports entre savoirs et pouvoirs. On dispose de travaux toujours plus nombreux sur les sciences impériales, sur la contribution des colonies à l’avancée des connaissances, notamment de l’histoire naturelle, sur les Lumières et sur les liens entre sciences, révolutions et Indépendances dans les territoires coloniaux. De même sont en plein essor les recherches sur la place des sciences et des savoirs dans le processus de consolidation des États-nations à partir du dernier tiers du XIXe siècle, moment qui coïncide avec l’affirmation du paradigme positiviste et l’intégration de l’Amérique Latine dans les flux de l’économie mondiale. Cependant, l’intérêt des latino-américanistes commence à peine à se tourner vers la période intermédiaire qui va des Lumières au scientisme. À cela, une raison : l’idée encore très répandue selon laquelle on aurait affaire, dans les Amériques ibériques, à des « décennies perdues », que ce soit dans le domaine de la construction étatique, des performances économiques ou de l’intégration sociale et culturelle des populations dans leur diversité.

Nous souhaitons explorer l’hypothèse inverse et mettre en évidence les modalités sous lesquelles survit, se transmet et se transforme le legs des Lumières impériales et coloniales, ainsi que les processus par lesquels les sociétés ibéro-américaines, incluant le Brésil et les colonies espagnoles de la Caraïbe, se sont trouvées prêtes, à la fin du XIXe siècle, à tirer toutes les conséquences du nouveau paradigme scientiste avec une rapidité qui devrait nous surprendre.

Reconsidérer le passage des « empires aux nations » en l’envisageant du point de vue des rapports entre savoirs, sciences, techniques et construction étatique, tel est l’objet de ce colloque. S’il est vrai qu’à l’échelle globale la véritable « révolution scientifique » se produit entre les dernières décennies du XVIIIe siècle et le milieu du XIXe, coïncidant ainsi avec l’âge des révolutions politiques et de la révolution industrielle, il convient de se demander comment les sociétés ibéro-américaines ont été partie prenante de cette révolution scientifique, comment celle-ci s’articule à la construction de leur nouvelle organisation politique en États nationaux et à l’émergence de nouvelles formes de gouvernement des territoires et des populations, de nouvelles formes d’action de l’État et de politique publique.

Considérant que la connaissance dans toute société est le produit de cette société, on tentera avant tout d’identifier les acteurs concrets, individuels et collectifs, d’une histoire politique, sociale, culturelle et matérielle des savoirs dans les Amériques ibériques : quelles sont les contributions concrètes des administrateurs, des hommes politiques et des militaires, des hommes de science et des juristes, des publicistes mais également des hommes d’affaires et des entrepreneurs, à la production, à la circulation et à la diffusion des connaissances scientifiques et techniques ? Dans quels réseaux, dans quelles instances de sociabilité discutent-ils et partagent-ils leurs savoirs, et selon quels critères les jugent-ils utiles au gouvernement et au développement économique ? Quels sont les milieux sociaux dans lesquels se concrétisent les circulations entre connaissances scientifiques ou techniques et action publique ? Par quels types de circulations (exils, voyages d’étude, diplomatie,correspondance savante ou administrative, publications, etc.) ces milieux sont-ils en lien dans les espaces nationaux et dans l’espace euro-américain ? Quels types de connexions et d’échanges existent avec les milieux scientifiques européens et états-uniens ? Quel est le rôle de la sphère publique, de l’opinion et de la circulation des imprimés, dans la socialisation des savoirs – qu’il s’agisse de l’hygiène publique, de la machine à vapeur ou du système métrique– et quels effets cette socialisation a-t-elle sur les attentes concernant le rôle et les fonctions de l’État ? Quels sont les effets, enfin, de l’avènement de ces nouveaux savoirs et techniques sur les formes d’autorité sociale, politique et religieuse ?

Sachant à quel point la centralité et l’institutionnalisation de l’« État » sont sujettes à caution durant cette période, on considérera ici l’« État » selon une approche concrète et plurielle : le gouvernement national, ses ministères et ses bureaucrates et administrateurs, les gouvernements des États fédérés, les préfets et chefs politiques des provinces et départements, les conseils municipaux. Qu’en est-il des « savoirs d’État » durant cette période ? Comment les autorités se procurent-elles les informations sur la population, la production et l’activité commerciale, le territoire ? Comment réutilisent-elles et actualisent-elles les savoirs d’État accumulés à l’époque impériale, et comment naît la statistique publique ? Quels sont les agents dont dispose l’État pour réunir ces savoirs, et de quels savoirs, théoriques et pratiques, disposent ces agents pour mener leurs tâches à bien ? Les agents des bureaux prennent-ils des initiatives pour améliorer ou réformer leur fonctionnement, les grandes « ordonnances » de l’administration impériale sont-elles appliquées, ou bien sont-elles peu à peu ignorées, ou réformées ?  Comment se pose la question de l’efficacité administrative et comment celle-ci est-elle liée à l’implication de l’État dans l’activité économique ?

S’agissant des savoirs, le spectre envisagé est très large, allant des disciplines scientifiques jusqu’aux savoirs pratiques mis en œuvre dans l’activité minière ou dans les premiers chemins de fer, dans les banques naissantes ou dans les plantations, en passant par ces savoirs de gouvernement que sont le droit sous toutes ses formes (droit civil, droit public et international, droit commercial), ou encore l’économie politique, le droit administratif et la science administrative. Quelle place est accordée à l’institutionnalisation de ces savoirs et quels sont les agents (privés, étatiques) de cette institutionnalisation ? Comment et par quels acteurs ces savoirs circulent-ils dans les Amériques ibériques et dans l’espace euro-américain ? Comment circulent-ils, concrètement, de la sphère intellectuelle à l’action des gouvernements ou à leurs usages économiques ?

Ces questions appellent une très grande variété de réponses, à travers des études de cas privilégiant une approche à la fois contextualisée, localisée et transnationale des rapports entre savoirs, gouvernement et construction étatique.

 
Organisateurs

Annick Lempérière (Université Paris I Panthéon-Sorbonne)  et Clément Thibaud (Université de Nantes)

Accès

RER B - Station Luxembourg
Bus : Ligne 21, 27, 38, 82, 84, 85, 89

Programme du colloque