Henri Grégoire dit l'abbé Grégoire réfute la thèse de la servilité naturelle des Noirs (1808)

 

Le caractère spécifique des peuples est permanent, tant qu'ils vivent isolés ; il s'affaiblit ou disparaît par le mélange. Reconnaît-on la peinture que fait César des Gaulois, dans les habitants actuels de la France ? Depuis que les peuples de notre continent sont, pour ainsi dire, transvasés les uns dans les autres, les caractères nationaux sont presque méconnaissables au physique et au moral. On est moins Français, moins Espagnol, moins Allemand ; on est plus Européen, et ces Européens, ont les uns la chevelure frisée, les autres lisse ; mais si à cause de cette différence et de quelques autres dans la stature et à conformation, prétendait assigner l'étendue et les limites de leurs facultés intellectuelles, n'aurait-on pas le droit d'en rire ? Dira-t-on que la comparaison pêche en ce que les chevelures européennes qui sont crépus ne sont pas laineuses ? Au lieu de se prévaloir des exceptions à cette règle, on se borne à demander si cette discrépance suffit pour nier l'identité d'espèce. Il en est de même dans la variété noire ; entre les individus placés aux extrémités de la ligne terminée d'un côté par la variété blanche, et de l'autre par la noire, il existe des différences remarquables qui s'atténuent et se confondent dans les intermédiaires.

 

(…)

Les philosophes ne s'accordent pas à fixer quelle partie du corps humain doit être réputée le siège de la pensée et des affections. Descartes, Harthley, Buffont offrent chacun leurs systèmes. Cependant, comme la plupart le placent dans le cerveau, on a voulu en conclure que les plus grands cerveaux étaient les plus richement dotés en talents, et les Nègres l'ayant plus petit que les Blancs, devaient leur être inférieurs. Cette assertion est détruite par les observations récentes ; car divers oiseaux ont proportionnément le cerveau plus volumineux que celui de l'homme.

(…)

On accuse les nègres d'être paresseux. Bosman, pour le prouver, dit  "qu'ils sont dans l'usage de demander, non pas, comment vous portez-vous ? Mais comment avez-vous reposé ?* (Voyage en Guinée, par Bosman, Utreclat, 1705, 131.)" Ils ont par maxime, qu'il vaut mieux être couché qu'assis, assis que debout, debout que marcher ; et depuis que nous les rendons si malheureux, ils ajoutent le proverbe indien : Qu'être mort est encore préférable à tout cela. cette accusation d'indolence, qui a quelque chose de vrai, est souvent exagérée : elle est exagérée dans la bouche de ces hommes habitués à manier un fouet sanglant pour conduire les esclaves à des travaux forcés : elle est vraie en ce sens, que des hommes ne peuvent pas avoir une grande propension au travail, soit qu'ils n'ont aucune propriété, pas même celle de leur personne, et que les fruits de leurs sueurs alimentent le luxe ou l'avarice d'un maître impitoyable, soit lorsque dans des contrées favorisées par la nature, ses productions spontanées, ou un travail facile fournissent abondamment à des besoins qui n'ont rien de factice. Mais Noirs ou Blancs, tous sont laborieux, quand ils sont stimulés par l'esprit de propriété, par l'utilité ou le plaisir. Tels sont les Nègres du Sénégal, qui travaillent avec ardeur, dit Pelletan, parce qu'ils sont sans inquiétude sur leurs possessions et leurs jouissances. Depuis la suppression de la traite, ajoute-t-il, les Maures ne font plus de courses sur les Nègres, les villages, se reconstruisent et se repeuplent* (Mémoire sur la colonie française du Sénégal par Pelletan, in-8e, Paris an 9, p.69 et 81.).

 

GREGOIRE (Henri), De la littérature des nègres, ou Recherches sur leurs facultés intellectuelles, leurs qualités morales et leur littérature ; suivies de Notices sur la vie et les ouvrages des Nègres qui se sont distingués dans les Sciences, les Lettres et les Arts, Paris, Maradan, 1808.

 

Texte original: [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k844925/f1.image.]

Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, 1007

Discrépance : simultanéité désagréable de sons, de sensations, d'avis, etc., qui ne s'accordent pas. Synonyme: divergence, dissemblance, disproportion.