L’avis d’un « parfais négociant» sur la traite négrière, Jacques Savary (1675)

 

Ce commerce paraît inhumain à ceux qui ne savent pas que ces pauvres gens sont idolâtres ou mahométans, et que les marchands chrétiens en les achetant de leurs ennemis, les tirent d’un cruel esclavage et leur font trouver dans les îles où ils sont portés, non seulement une servitude plus douce, mais même la connaissance du vrai Dieu et la voie du salut par les bonnes instructions que leur donnent les Prêtres et Religieux qui prennent le soin de les faire Chrétiens, et il y a lieu de croire que sans ces considérations, on ne permettrait point ce commerce. Ceux qui l’entreprennent doivent donner de bons ordres pour la nourriture, transport et bon gouvernement pour ces pauvres misérables, qu’ils n’en meurent par leur faute et dont ils aient un jour à rendre compte.

(…)

Il faut remarquer que dès le moment que l’on fait la traite des Nègres, et qu’ils sont embarqués dans les vaisseaux, il faut mettre les voiles au vent. La raison en est, que ces esclaves ont un grand amour pour leur patrie, qu’ils se désespèrent de voir qu’ils la quittent pour jamais, ce qui fait qu’il en meurt beaucoup de douleur, et j’ai ouïe dire à des Négociants qui font ce commerce de Nègres, qu’il en meurt plus avant que de partir du port, que pendant le voyage : les uns se jetant dans la mer, les autres se battant la tête contre le vaisseau, les autres retenant leur haleine pour s’étouffer, et d’autres qui ne veulent point manger pour se laisser mourir de faim et quand ils ont perdu leur pays de vue, ils commencent à se consoler, et particulièrement quand on les régale de l’harmonie de quelque instrument, c’est pourquoi il serait bon pour la conservation des Nègres d’embarquer quelque personne qui sussent jouer de la Musette, de la Vielle, Violon, ou de quelque autre instrument pour les faire danser, et tenir gais le long du chemin ; car c’est un bon moyen pour les transporter en santé et quand on les expose en vente, on les vend toujours davantage, quand ceux qui les achètent les voyant gais et gaillards.

 

SAVARY (Jacques), Le parfait négociant, ou instruction générale pour ce qui regarde le commerce de toute sorte de marchandises, tant de France que des pays étrangers, Paris, 1675, p.140.

 

Texte original: [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b86207898.r=SAVARY%20Jacques%2C%20L...

Source: Bibliothèque nationale de France, département Réserve des livres rares, V-17348

Mahométan(s) : est un terme employé pour désigner les musulmans, les croyants en la religion de Mahomet (l’Islam). Il peut aussi être employé comme adjectif pour qualifier toute chose relative à l’Islam.